Manager dans l’incertitude : Interview de Vincent Boichard
Bonjour Vincent , peux-tu te présenter rapidement ?
« Je suis Vincent Boichard, 48 ans marié et père de deux enfants. Issu d’un parcours militaire démarré en 1989, j’ai été affecté au 1 er Régiment de Spahis pendant 3 ans, durant lesquels j’ai été amené à réaliser une opération extérieure en centre Afrique de 5 mois. Fort de cette expérience, j’ai intégré la sécurité civile pendant 20 ans où j’ai été amené à diriger plus de 1000 hommes. J’ai réalisé des opérations sur des missions très diverses aux quatre coins du globe. Mes différentes missions m’ont amené à couvrir des catastrophes de grandes ampleurs comme les tsunamis de 2004 en Indonésie ou de 2011 au Japon mais également, les tremblements de terre de 2003 en Algérie ou de 2010 à Haïti, et bien d’autres encore. »
Peux-tu nous décrire comment tu as vécu ce confinement?
« Face à cette crise, je me suis tout de suite conditionné à classer les données afin de la suivre avec des informations fiables pour ne pas tomber dans la morosité. Sélectionner les données cohérentes et pertinentes a été indispensable pour ne pas se laisser parasiter par un afflux de fausses informations et rester positif. La clé dans ce confinement a été de rester actif, j’ai dispensé différentes formations en leadership et management via des webinars. En quête permanente d’amélioration et afin de mieux comprendre les industries et entreprises, j’ai suivi une formation sur les normes, ce qui m’a permis de mieux appréhender et comprendre les mécanismes de hiérarchisation des risques pour les entreprises afin d’être encore plus précis et pertinent dans les formations ou conférences que je dispense. C’était très important étant donné que le monde de l’entreprise à un fonctionnement différent de celui du monde opérationnel dans lequel j’ai évolué. »
Tu as souvent été confronté à des situations de crise , laquelle peux-tu nous partager ?
« En 2010, j’ai eu la chance de pouvoir mettre à profit mes compétences et mes expériences au service du tremblement de terre en Haïti qui a couté la vie à 250 000 personnes. Cette catastrophe nous a amené à être confronté à une situation extrême car il y avait 5 000 morts par kilomètre carré. Lors de cette mission, j’ai dirigé une petite équipe très expérimentée et dédiée à la mission de recherche de survivants. »
Quels ont été tes objectifs et ceux de ton équipe sur ce tremblement de terre en Haïti?
« Le but était d’identifier et de retrouver le plus de personnes vivantes. Dans un premier temps, nos recherches se sont orientées vers des bâtiments où les concentrations de personnes étaient importantes (écoles, grands immeubles, centres commerciaux). Cette stratégie s’est avérée non payante car nous n’avons retrouvé aucun survivant. Cependant, nous ne sommes pas restés sur cet échec et avons rapidement changé de stratégie en nous tournant vers des lieux où potentiellement la densité de personnes était plus faible. Cette stratégie s’est avérée payante car nous avons pu sauver au bout de 11 jours un homme bloqué dans un petit supermarché, et au bout de 15 jours une jeune fille de 16 ans bloquée entre deux blocs de béton, ce qui relève quasiment du miracle. »
Comment as-tu managé tes hommes dans cet environnement complexe ?
« Afin de pouvoir gérer au mieux la situation inédite rencontrée sur le terrain et d’avoir des équipes bien en place, il a été très important en amont de bien projeter les hommes et notamment leur permettre de mentaliser et de visualiser ce qu’ils allaient vivre. Une fois à Haïti, il a été important quotidiennement de préserver psychologiquement les équipes, mais aussi de leur permettre d’extérioriser de manière libre ce qu’ils ressentaient grâce à un moment de convivialité obligatoire. Même si ces moments tragiques font partie de notre métier, il est très important de libérer la parole tout de suite pour atténuer l’impact psychologique et préserver les hommes le jour suivant, ce qui permet de les affecter à des missions en cohérence avec leur état psychologique et émotionnel. Les moments de décompression ont également été très importants pour déconnecter. Par exemple, nous avons organisé des parties de football avec des enfants rescapés d’un orphelinat ».
Avec ton expérience, quels conseils peux-tu donner aux entreprises face à cette crise?
« Comme évoqué plus haut, il faut être proactif et se tourner vers l’avenir, peu importe la situation. Dans chaque cas, nous ne disposons jamais de toutes les informations pour être sûrs à 100% d’avoir pris la bonne décision. Il faut donc agir, prendre des décisions avec une certaine incertitude et réaligner nos actions si besoin. Mon expérience en Haïti le prouve bien. Sans toutes les informations, nous ne sommes jamais sûrs à 100% d’avancer dans la bonne direction. L’agilité est une des clés de réussite face à la crise. C’est seulement en agissant qu’il est possible de savoir si on avance dans la bonne direction. Afin d’avoir une équipe soudée et qui avance ensemble il est nécessaire et encore plus aujourd’hui de détecter les signaux faibles chez nos collègues ou collaborateurs. L’écoute active quotidienne est nécessaire et encore plus aujourd’hui car la sphère privée à un impact direct sur le moral et les attitudes. Il faut donc veiller à être à l’écoute en permanence afin de pouvoir agir, corriger et organiser le jour d’après pour atteindre des objectifs »
Un petit mot pour conclure ?
« La morosité n’est en rien la solution, il faut rester optimiste et actif même face à une situation de crise et d’incertitude car c’est cela qui nous fait avancer. Je souhaiterais pour finir, partager avec vous une citation d’Eric-Emmanuel Schmitt « Ce que tu gardes pour toi est perdu a jamais, ce que tu donnes aux autres est à toi pour toujours ». »