Gérer son stress dans un contexte de crise : Interview de Patrice Leguet
Bonjour Patrice, peux-tu te présenter rapidement ?
Je suis Patrice Leguet, ancien préparateur mental des pilotes de chasse et ancien référent en gestion du stress pour l’état-major de la Marine sur le porte-avions Charles de Gaulle. Le sport a toujours fait partie de ma vie, notamment les sports de combat, ce qui m’a permis de devenir chef d’entraînement physique militaire et sportif dans la marine nationale. Au cours de ma carrière, j’ai participé à des missions d’action de l’état en mer, comme par exemple la surveillance des pêches et de l’immigration clandestine mais aussi des missions de lutte contre le terrorisme maritime. Aujourd’hui, je suis civil et consultant en préparation physique et mentale.
Comment as-tu vécu cette crise ?
J’ai vécu ce confinement comme une privation de liberté. Ma carrière m’a amené à réaliser plusieurs missions sur porte-avions et il faut dire que ces expériences sont comparables au confinement. Face à ce type de situation, l’important c’est de l’accepter et de ne pas se laisser submerger par les premières émotions comme la peur, la panique ou l’inquiétude. J’ai donc approuvé cette situation et le fait qu’il était impossible que j’aie un impact dessus ou bien même que je puisse la maitriser. J’ai préféré positiver les événements. Ce temps de confinement a été bénéfique car il m’a permis de prendre du temps pour moi et de passer plus de moment avec ma famille.
Peux-tu nous raconter une situation où tu as accompagné une équipe en état de choc et de stress important ?
J’étais en mission sur le porte-avions Charles de Gaulle lorsque le médecin est venu me réveiller en pleine nuit. Un équipage d’aéronef (objet volant), composé de deux pilotes, deux opérateurs et un plongeur, avait eu un incident lors d’un exercice de récupération en mer. Lors de celui-ci, alors que le plongeur était suspendu au câble, l’appareil a connu une courte défaillance entrainant une chute brutale pour le plongeur. Le câble le reliant à l’appareil s’était détendu. À ce moment-là, les pilotes et les opérateurs pensaient avoir perdu le plongeur en mer. Fort heureusement, celui-ci était toujours lié à l’appareil et a donc pu rejoindre l’équipage rapidement. Ils ont donc stoppé l’exercice immédiatement et sont rentrés en état de choc.
Comment as-tu aidé les équipes à gérer leur stress et émotions ?
Dans un premier temps, j’ai laissé le médecin examiner les 5 militaires afin d’être sûr que physiquement, ils n’avaient pas de séquelles de l’incident.
Une fois cet examen fini, j’ai récupéré l’ensemble de l’équipe pour que tout le monde puisse verbaliser ce qu’il a ressenti et ainsi leur permettre de partager sur l’incident. Cette étape est importante car elle offre la possibilité à tous les acteurs de mieux comprendre les réactions et état à l’instant T de chacun.
J’ai ensuite amené les équipes dans une salle neutre. Il est primordial suite à un choc émotionnel de mettre les hommes dans un environnement sain et stable afin qu’ils puissent méditer en pleine conscience. Le tout, sans être déranger par des bruits parasites et dans une ambiance saine pour ressentir de bonnes sensations.
Cette étape de méditation se décante en deux parties et a pour but de relaxer totalement les individus :
- La respiration : Le but est de centrer les individus sur leur respiration afin qu’ils ne pensent plus à autre chose.
- L’imagerie mentale : Sur cette partie, il est essentiel de se remémorer des moments intenses et plaisants, comme par exemple des instants conviviaux en famille.
Les jours qui ont suivi, nous avons procédé à des exercices d’imagerie mentale, cette fois-ci pour les aider à visualiser les prochains vols afin qu’ils retrouvent leur autonomie en toute sécurité.
Quels conseils peux-tu donner aux personnes à cette crise pour mieux gérer leur stress ?
Il faut apprendre à lâcher prise, une quantité d’événement se sont produits ou vont se produire sans que nous puissions les maitriser. Il faut donc accepter qu’il soit impossible de tout gérer car nous ne pouvons avoir un impact sur toutes les situations.
Maîtriser des outils de gestion de stress ne permet pas uniquement de lutter contre les effets de celui-ci, cela permet se préparer mentalement aux événements à venir afin de mieux les appréhender.
La méthode simple RID fait partie de ces outils :
- Respiration : Se recentrer et se concentrer uniquement sur sa respiration.
- Imagerie : Visualiser des situations vécues positives ou imaginer des situations non vécues, ce qui permet de baisser son niveau de stress et de mieux gérer son anxiété. Il faut noter que notre cerveau ne fait pas la différence entre une action imaginée ou une action réelle.
- Dynamisation : Cette dernière partie permet de lier sa respiration à une action pour mieux la préparer et la gérer, comme par exemple dans les commandos, où la respiration est brève et intense, juste avant un assaut.
Un petit mot pour conclure ?
Il faut essayer de tirer les leçons des erreurs du passé et mettre des choses en place pour éviter de les reproduire. Nous savons tous qu’il y aura prochainement des crises. C’est pour cela que je conseille à tout le monde de les préparer mentalement afin de mieux les vivre et les gérer grâce à des méthodes simples comme le RID. Comme disait Kalachnikov : « Tout ce qui est compliqué est inutile, tout ce qui est simple est utile ». Tournez-vous donc vers des méthodes simples plutôt que de rentrer dans des réflexions complexes et sans issues.